Débat Christian Laval/Jean-Louis Laville « Commun et économie solidaire », CNAM, 9 avri 2015

Université populaire et citoyenne du Cnam

 9 avril 2015 –18h – 20h30

Amphi Paul Painlevé (PP) – cour d’honneur accès 1

292 rue Saint Martin

 

Commun et économie solidaire

En présence de :

Christian Laval, sociologue

Jean-Louis Laville, sociologue

Débat animé par Thierry Brun, rédacteur en chef adjoint de Politis

Introduction par Thierry Brun

Ce débat fait suite à un numéro hors-série (n°61) de novembre-décembre 2014 de la revue Politis intitulé « Biens communs : le retour des solidarités » dans lequel Christian Laval et Jean-Louis Laville débattent déjà des rapports entre les communs et l’économie sociale et solidaire (p. 5-8).

Exposé de Christian Laval

 Le « commun » est une thématique qui renoue avec des traditions de pensée très anciennes.

Pierre Dardot et moi-même, nous avons produit des analyses critiques du capitalisme, plus précisément de ce qui a produit la civilisation capitaliste (cela a été mon travail pendant 20 ou 30 ans). Dans notre essai de 2009, La nouvelle raison du monde, essai sur la société néolibérale, on a pu nous reprocher d’avoir une vision extrêmement violente et noire du capitalisme et de la rationalité néolibérale. Pour autant, en dépit de ce caractère violent, nous avons conclu le livre sur l’émergence d’une rationalité alternative : la rationalité du commun, en entendant par rationalité un ensemble de principes, de discours et de pratiques. Nous avions repris ce terme de « commun » des mouvements sociaux, sans savoir exactement ce que c’était, mais parce que c’était là. Comme l’a dit justement Gustave Massiah, le commun a surgi des luttes.

Avec le livre Commun. Essai sur la révolution au XXIème siècle, nous avons voulu nous demander d’une part quelles étaient les sources historiques de cette thématique du commun, et d’autre part comment cela pouvait constituer un principe alternatif à la rationalité néolibérale. Il s’est agi donc à la fois de faire une archéologie du commun et de dégager en même temps le commun comme principe politique alternatif.

Et nous avons voulu faire cela en lien avec notre analyse du néolibéralisme comme « interdit de l’avenir ». Car le néolibéralisme se pose comme un éternel présent, ses défenseurs répètent qu’il n’y a pas d’autre avenir possible, aucune alternative politique et économique envisageable : c’est le fameux « TINA » signé Margaret Thatcher : « There Is No Alternative ». Le seul changement toléré est celui qui s’inscrit dans le cadre de la concurrence généralisée : l’action publique est-elle-même inscrite dans le cadre de la compétitivité et aucune imagination n’est acceptable en dehors des logiques de la compétitivité. Notre objectif était donc de percer ce mur, cet interdit sur l’avenir, en nous appuyant sur les luttes, les expérimentations et les mobilisations contre cet interdit de l’avenir.

Ce surgissement du commun, nous ne l’inventons pas. Notre tâche n’est pas de sortir de notre cerveau des formules pour ceux qui sont engagés dans l’action ; ce n’est pas notre éthique du travail intellectuel. L’éthique convenable est celle formulée par Michel Foucault quand il dit que « les concepts viennent des luttes et qu’ils doivent y retourner ». C’est le mouvement altermondialiste qui a d’abord dégagé cette thématique des communs. Les intellectuels doivent reprendre ce qui se dégage des contenus et des pratiques pour définir des concepts, élaborer des théorisations, construire des récits historiques pour aboutir à de nouvelles pratiques dépassant le cadre du capitalisme.

Qu’est-ce alors que le principe du commun ? C’est le principe politique des luttes actuelles dirigées à la fois contre l’appropriation par le marché et par les institutions publiques dominées par les oligarchies qui les ont accaparées. C’est d’abord un principe de démocratie directe, de ressourcement démocratique par le bas, de réinvention de nouvelles formes d’expression populaire. Cette dimension démocratique implique, comme dans le mouvement des Indignados, une exigence de contrôle sur ceux qui ont un mandat électoral et une volonté de redonner consistance et efficacité à la participation politique. En outre, le principe du commun est un principe de lutte contre l’appropriation des ressources naturelles comme l’eau, les ressources énergétiques, mais aussi des ressources produites dans le domaine de la connaissance, de la science, de l’information et de la production numérique. Ces deux axes nous indiquent que le commun est un principe d’autogouvernement et une exigence de lutte contre la propriété privée et pour l’usage commun, l’usage collectif des ressources. Ce qui est intéressant, c’est l’articulation de ces deux dimensions de l’autogouvernement et de l’usage commun[1].

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