Article Finances locales des associations

Finances locales des associations : des données publiques non exploitées par les chercheurs et non revendiquées par les têtes de réseaux associatives !

 Article paru dans la Revue Horizons publics[1]

 

Par Laurent Fraisse, socio-économiste à la ChairESS Hauts-de-France[2], chercheur associé au LISE (Laboratoire Interdisciplinaire de Sociologie Economique).

 

 

Les contraintes sur les financements des associations sont une préoccupation croissante des élus et techniciens, financeurs et accompagnateurs comme des responsables et salariés associatifs. Un faisceau d’évolutions récentes est souvent évoqué pour corroborer l’impression que l’âge d’or du soutien des pouvoirs publics aux associations serait en passe d’être révolu. Pour autant, des positions opposées sont repérables quant à l’ampleur des restrictions budgétaires et à la nécessité de faire évoluer le « modèle économique » des associations. Le débat mériterait d’être éclairé par une exploitation des comptes et budgets des autorités publiques, données jusqu’à présent non exploitées et non revendiquées.

 

Signes d’essoufflement du relais de l’Etat par les collectivités locales

Les premiers signes d’inquiétudes ont émergé dans les années 2000. Ils portaient moins sur une restriction des financements aux associations que sur les changements dans les modes de contractualisation. Les appréhensions manifestées par les responsables d’association face aux pratiques des appels à projets et des appels d’offre ont progressivement été attestées par les enquêtes statistiques[3] qui révèlent que les ressources publiques constituent entre 51% et 47% du financement total des associations. Elles estimaient l’une comme l’autre les recettes d’activité d’origine publique entre 25 et 27% des budgets associatifs. Celles-là sont principalement attribuées à la progression de la commande publique alors que, dans le même temps, la part des subventions qui était de 25% dans l’enquête « paysage associatif » de 2011 (Tchernonog, 2013) n’est plus que de 18% dans l’enquête INSEE de 2014.

Progressivement depuis les années 2010, les inquiétudes sur des transformations des modes de contractualisation entre associations et collectivités locales défavorables à la subvention se sont doublées d’un pessimisme croissant quant à la progression, sinon au maintien des financements publics locaux aux associations. La baisse des dotations de 14 milliards l’Etat aux collectivités locales en 2014 a été le signal d’un basculement dans les priorités budgétaires des collectivités territoriales. Des premières réductions de dépenses sont enregistrées. Elles se sont dans un premier temps concrétisées par le gel ou le report d’investissements locaux pour toucher désormais les dépenses de fonctionnement, ces dernières comprenant comptablement la majeure partie des subventions aux associations.

La dégradation de la situation financière de plusieurs conseils départementaux a été particulièrement aiguë car les efforts d’économie exigés par l’Etat se sont produits dans un contexte de hausse des besoins sociaux, de précarisation croissante des personnes les plus fragiles et d’augmentation mécanique du montant des versements d’allocations sociales (RSA, APA, PCH). Dépenses difficilement compressibles car fondées sur l’accès aux droits, telle n’est pas le cas des subventions aux associations de solidarité, acteurs historiques des politiques sociales et, à ce titre, partenaires des conseils départementaux.

L’élection d’Emmanuel Macron en 2017 et les priorités budgétaires du gouvernement d’Edouard Philippe ont accentué les tendances précédemment engagées. Toute une série de mesures ont des impacts indirects sur les financements locaux des associations. A la nouvelle baisse de 13 milliards des dotations de l’Etat sur l’ensemble de la mandature s’ajoute la crainte des élus locaux d’une non compensation à l’euro près de la suppression de la taxe d’habitation. Mais c’est la baisse du nombre d’emplois aidés dont les associations sont, avec les collectivités locales et les administrations publiques, les principaux récipiendaires qui a suscité le plus protestations dans le milieu associatif en raison de ses incidences immédiates sur les collectifs de travail.

 

Contester les priorités budgétaires et/ou faire évoluer le « modèle » socio-économique des associations ?

Ce faisceau d’indices sur les financements des associations est relativement partagé par les décideurs publics et les responsables associatifs. En revanche, les interprétations quant à l’ampleur des réductions, les impacts sur l’emploi associatif et les enseignements à en tirer concernant l’économie des associations font l’objet de débat. Pour l’illustrer les controverses, nous avons repéré et différencié trois positionnements récents du gouvernement et de regroupements associatifs nationaux selon qu’ils considèrent le cadre institutionnel de financement et les modèles socio-économiques comme des variables d’action ou des contraintes externes.

Financements privés, tournant entrepreneurial et changement d’échelle

La première position est celle du Haut-Commissaire à l’Economie sociale et solidaire, Christophe Itier. Si sa fonction l’amène à modérer certains points de vue antérieurs comme son appel à « réinventer un modèle social post Etat-providence »[4], il assume les « contraintes budgétaires »[5] du gouvernement, et les incidences pour les associations, notamment la baisse des contrats aidés. Prenant acte de la raréfaction des financements publics, une des priorités affichées est « la consolidation du modèle économique des associations ». Celle-ci passe par plus d’autonomie de gestion (possibilité de faire des excédents), une amélioration des délais de paiement, mais aussi une diversification des financements et une hybridation des ressources « qu’elles proviennent du public, du privé, du mécénat et de la philanthropie. »[6] Les clauses sociales dans les marchés publics, les « joint-ventures sociaux » avec les entreprises classiques, l’expérimentation des contrats à impact social, le développement du bénévolat sont des pistes souvent citées. En résumé, les associations doivent adapter leur modèle économique au nouveau contexte. Cela passe avant tout par la recherche de nouvelles ressources notamment privées qui sont mises sur le même plan que les financements publics. Le discours est un appel du milieu associatif à changer de posture, voire à adopter un tournant entrepreneurial nécessaire au changement d’échelle.

Contre le fatalisme de la baisse des subventions

A l’opposé de cette position, se trouve celle du collectif des associations citoyennes (CAC). Elle procède d’une double critique : celle des politiques d’austérité et de rigueur (désengagement des soutiens de l’Etat, puis baisse des dotations qui se répercutent sur le soutien des collectivités locales) et celle d’une injonction publique à changer l’économie non marchande et non lucrative des associations en présentant comme une panacée la recherche de financements privés ainsi que l’acceptation de la commande publique. En creux, les discours politiques sur l’accompagnement et la diversification ne feraient que masquer une acceptation implicite de choix macro-économiques contestables. Insistant sur les dimensions politiques et institutionnelles de l’évolution des financements aux associations, le CAC conteste le « fatalisme de la baisse des subventions », l’inéluctable concurrence entre associations et avec les entreprises privées lucratives et l’essoufflement annoncée d’une gouvernance associative laissant place aux entrepreneurs sociaux. Le CAC invite à l’inverse à une réaffirmation des engagements bénévoles, des mobilisations citoyennes, à la construction d’alternatives au néo-libéralisme et à la défense implicite du modèle de la subvention.

Diversifier ses ressources en fonction de son projet et de son environnement

Une position plus modérée est repérable dans les positions et travaux du mouvement associatif (LMA) et de la Fonda[7]. Tout en acceptant une part nécessaire d’exploitation de ressources complémentaires, ces têtes de réseaux associatives estiment que les soutiens publics et la subvention doivent demeurer le mode de financement et de contractualisation principaux. Le risque de substitution doit être évité. S’il convient de « s’ouvrir encore davantage vers de nouvelles ressources, notamment privées. Celles-ci ne sont pas destinées à remplacer les financements existants ». Le concept d’économie plurielle est mobilisé pour affirmer une « nouvelle approche de l’économie, non réductible au seul marché. »[8] Le constat est moins alarmiste et plus nuancée sur le diagnostic macro-économique soulignant que le secteur associatif résiste mieux que prévu à la crise. Moins qu’une baisse des financements publics, ce sont les transformations de leurs modes d’attribution et contractualisation qui inquiètent. Si les associations sont invitées à « inventer de nouveaux modèles socio-économiques », c’est en rappelant « l’encastrement dans la société et dans le politique de leurs activités économiques. » De même, la diversification des ressources est présentée comme une condition de l’autonomie associative assimilable à une stratégie de résistance tant à la banalisation marchande comme l’instrumentalisation des pouvoirs publics. Pointant la diversité des situations sectorielles et territoriales, les études et guides sur les modèles socio-économiques[9] sont présentés avant tout comme des outils permettant aux associations de se positionner et de faire leur choix au regard de leur projet et de leur environnement. En outre, le souci de maintenir un dialogue avec les pouvoirs publics les rend méfiant de postures trop partisane ou contestataire.

 

Trois positionnements sur les évolutions des financements aux associations

 

Haut-commissaire à l’ESS

Collectif des Associations Citoyennes

Le Mouvement Associatif

Cadre macro-institutionnel de financement

Contraintes budgétaires  assumées

 

Raréfaction des financements publics comme horizon

Critiques des politiques d’austérité et de rigueur

 

Contestation du « fatalisme de la baisse des subventions »

Constat de la contraction des financements publics

 

La dynamique de création d’emplois associatifs reste positive

Modèles socio-économiques

Evolution vers des modèles hybrides public/privé

Modèle non marchand et public à préserver

Consolidation et adaptation selon les contextes sectoriels et territoriaux

Modes de contractualisation

Priorité à d’autres financements que la subvention

Défense du modèle historique de la subvention

Subvention privilégiée mais ressources complémentaires à explorer

Hybridation et diversification des ressources

Condition nécessaire au changement d’échelle

Un premier pas vers la privatisation et la financiarisation.

Nécessaire à l’autonomie associative

Registres privilégiés d’action

Changement de posture. Tournant entrepreneurial et gestionnaire

Contre-expertise, contestation et mobilisation collective

Outiller les associations pour mieux éclairer leur prise de décision

Financements publics aux associations : des données publiques non exploitées par les chercheurs et non revendiquées par les têtes de réseaux associatives !

Le faisceau d’indices évoqués et les difficultés économiques rencontrées par nombre d’associations conduisent à des réflexions et des positions diverses sinon opposées tant sur les cadres institutionnels de financements que sur l’évolution de leurs modèles socio-économiques. Pour autant, l’étude menée sur la santé économique des associations sur la Métropole Européenne de Lille (MEL) révèle un déficit de connaissances et de données publiques sur les évolutions des financements des associations qui ne peut être que préjudiciable à un débat démocratique éclairé. Les enquêtes statistiques citées précédemment ont été conduites nationalement à partir de questionnaires sur les budgets associatifs. Elles n’éclairent que partiellement la compréhension des évolutions et les arbitrages budgétaires des pouvoirs publics locaux en faveur ou défaveur des associations. Seule une analyse à partir des comptes et des budgets publics peut permettre une telle analyse à l’échelle des territoires.

Une méconnaissance des montants cumulés des subventions et de leurs répartitions.

Les élus et techniciens des collectivités locales ne cessent d’affirmer qu’il n’y a plus de marges de manœuvre budgétaires. Les responsables associatifs locaux s’alarment régulièrement de la santé économique des associations pointant ici et là des réductions d’effectif, dégradation de conditions de travail, voire tel ou tel cas de liquidation judiciaire. Or ces échanges se font sans que ni les uns, ni les autres ne soient en mesure de connaitre des informations aussi basiques que l’évolution des subventions des principales autorités publiques d’un territoire (de l’Etat aux grandes villes en passant par le conseil régional et les conseils départementaux). Bref, tout le monde parle de contraintes budgétaires sans que personne ne sache de combien les enveloppes globales des subventions ont été affectées par la baisse des dotations de l’Etat. On ne dispose généralement pas non plus d’une vision publique et partagée de la répartition sectorielle des financements publics entre politiques et services des collectivités locales, de l’évolution du nombre de subvention ou encore de leur distribution par montants de subvention. Notre étude montre que le montant cumulé et la répartition sectorielle des subventions aux associations sont des informations souvent méconnues, y compris en interne des collectivités locales par les élus et techniciens à l’économie sociale et solidaire ou à la vie associative.

A la recherche de la part des associations dans les marchés publics

Le déficit de connaissance est encore plus flagrant concernant la part des associations dans les marchés publics. Alors que le débat fait rage depuis une dizaine d’années dans le milieu associatif sur la progression de la commande publique par rapport à la subvention, force est de constater que nombre d’élus et de techniciens sont bien en peine d’isoler la part des associations. Et pour cause, l’absence de requête sur le statut juridique dans les bases de données des marchés publics de certaines collectivités locales rend complexe une telle évaluation. Le Hauts Commissaire à l’ESS comme certains élus locaux mettent en avant les clauses sociales et environnementales dans les marchés publics comme levier de développement pour les entreprises de l’ESS. La réalité est qu’ils ne disposent pas aujourd’hui des indicateurs à même d’évaluer, par exemple, l’impact de la mise en place des schémas de promotion des achats publics socialement responsables prévus dans l’article 13 de la Loi ESS de juillet 2014.

Dernière boite noire des financements publics aux associations, l’évaluation territorialisée des dépenses fiscales. Une part non négligeable des financements privés aux associations (dons, mécénats, etc.) est encouragée par l’Etat sous forme de réductions d’impôts pour les particuliers ou les entreprises. Directement comptabilisées et centralisées au Ministère de l’économie et des finances, une meilleure connaissance des dépenses fiscales en collaboration avec les directions régionales des finances publiques (DRFIP) permettrait une évaluation territorialisée des montants des dons et du mécénat mais aussi de leur affectation sectorielle.

Faute de collecter et de traiter ces données (auxquelles il faudrait ajouter les contrats aidés), une compréhension fine de la place des financements publics dans les priorités et arbitrages budgétaires des pouvoirs publics locaux restera approximative. Rappelons qu’il s’agit d’informations publiques accessibles en droit à tout citoyen qui en fait la demande[10]. La loi sur la République numérique d’octobre 2016 permet l’échange de ces informations entre autorités et administrations publiques et incite les collectivités locales à aller vers « l’opendata ». Encore faut-il qu’élus, chercheurs et responsables associatifs se saisissent des cadres législatifs existants pour le faire appliquer localement. Or l’étude montre que non seulement les données publiques sur les financements aux associations ne sont pas exploitées par les chercheurs en économie, gestion ou administration publique mais que leurs accès et leur publicité ne sont pas revendiqués par les têtes de réseaux associatives. Une analyse plus systématique à partir des comptes publics présente pourtant l’intérêt de placer la réflexion au niveau des choix budgétaires des pouvoirs publics en matière de financement des associations venant ainsi compléter et nuancer une lecture parfois trop organisationnelle et gestionnaires des enquêtes budgets associatifs.

 

 

[1] https://www.horizonspublics.fr/revue/jeunes-chercheurs-un-autre-regard-sur-les-enjeux-des-territoires

[2] https://chairess.org/

[3]Tchernonog V. (2013), « Le paysage associatif français- Mesures et évolutions », deuxième édition, Dalloz Juris associations, Paris. Reynaert L., d’Isanto A., « Neuf associations sur dix fonctionnent sans salarié », INSEE Première, n°1587, mars 2016.

 

[4] « Réinventer un modèle social post Etat-providence », Directions, 142, mai 2016.

[5] Entretien Christophe Itier dans la Croix, 11 septembre 2017, www.la-croix.com/Economie/Economie-solidaire/Christophe-Itier-Nous-voulons-donner-liberte-associations-2017-09-11-1200875809

[6] Christophe Itier : « L’État ne détient pas seul le label de l’intérêt général », entretien dans l’Humanité, 7 novembre 2017.

[7] « L’avenir des modèles socio-économiques des associations », note d’analyse, en ligne sur fonda.asso.fr. ;

[8] « Contribution à l’analyse des modèles socio-économiques associatifs Typologie des modèles de ressources financières », CPCA, janvier 2014.

[9] Par exemple, « les stratégies des acteurs associatifs et proposition pour faire évoluer les modèles socio-économiques », étude KMPG 2017 commanditée par l’UDES et LMA, en ligne sur lemouvementassociatif.org.

[10] « Les budgets et les comptes des autorités administratives mentionnées à l’article 1er et dotées de la personnalité morale sont communicables à toute personne qui en fait la demande, dans les conditions prévues par le livre III du code des relations entre le public et l’administration.  La communication de ces documents peut être obtenue tant auprès de l’autorité administrative concernée que de celles qui les détiennent. ». Article 10, Loi n° 2000-321 du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations.

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